L'histoire du manga d'après-guerre au long des étagères d'un musée de Kyoto

KYOTO — Le terme manga est entré dans les dictionnaires français il y a une dizaine d'années seulement, mais cette bande dessinée japonaise a un long passé que retrace en partie une salle du Musée international du manga à Kyoto.

A quand remonte l'origine du manga? Différents avis inconciliables s'opposent sur ce point. Reste que la forme actuelle de ce mode de narration figurative, distincte de celles d'Occident, n'est réellement devenue mature qu'après la Deuxième guerre mondiale, grâce notamment à Osamu Tezuka, considéré depuis comme le "père du manga".

L'exposition sur la chronologie du manga du musée de Kyoto se concentre sur cette période de 1945 à 2010, donnant à lire aux visiteurs japonophones les principales oeuvres qui ont marqué ces quelque six décennies.

"Ce musée est un centre de recherche sur le manga, qui en expose les résultats", explique Shuzo Ueda, secrétaire général de cet établissement.

"Les travaux ne sont pas limités au manga japonais, mais intègrent aussi la bande dessinée européenne ou bien les comics américains", poursuit-il.

L'évolution du manga a pour particularité d'entrer en permanence en résonance avec les préoccupations sociales, les événements historiques, les fluctuations économiques, les changement familiaux vécus par les Japonais.

En ciblant précisément les différentes catégories de public, par sexe et âge, il est d'une exceptionnelle diversité que mettent en exergue les panneaux de l'exposition, avec les magazines et livres symboles des genres et époques.

Publié en 1947, Shintakarajima (la nouvelle île au trésor) de Tezuka a inauguré une expressivité d'un dynamisme jusqu'alors inédit.

Dans la décennie suivante, après le départ des forces occupantes américaines, en 1952, les ninja et autres guerriers refirent surface, en même temps que surgirent des robots bienfaiteurs comme l'indétrônable Tetsuwan Atomu (Astro Boy) du prolifique Tezuka.

Les magazines de prépublication donnèrent alors un élan nouveau au genre, notamment grâce au lancement le 17 mars 1959 des deux emblématiques hebdomadaires pour adolescents Shukan Shonen Sunday et Shukan Shonen Magazine, des rivaux toujours en première ligne.

Durant les années 1960, le manga prit aussi une tournure adulte, sociétale et politisée, que reflètent des séries comme Kamui Den (La légende de Kamui), du gauchiste Sanpei Shirato, ou Ashita no Joe (Joe de Demain), de Tetsuya Chiba et Asao Takamori (alias Ikki Kajiwara), deux sagas qui chauffèrent les étudiants en colère au tournant de la décennie 1960/1970.

Par la suite, les femmes, alors revendicatives, utilisèrent aussi le vecteur du manga, avec des oeuvres plus engagées qu'elles ne le paraissent, comme Berusaiyu no bara (La Rose de Versailles) de Riyoko Ikeda.

Les années 80, d'ébullition financière, furent celles où le manga se déchaîna et versa parfois dans l'abject, l'outrance, la luxure. Mais ce fut aussi la période où émergèrent des styles uniques comme celui de Kazuhiro Otomo, avec Akira.

"Il y a 40 ou 50 ans, le manga était en dehors du champ académique, il avait ses créateurs mais pas ses chercheurs", souligne M. Ueda.

"C'est à partir des années 1980 qu'il a commencé à être perçu comme un sujet d'étude et un mode d'expression artistique".

Depuis trois décennies, le manga est en outre une redoutable machine commerciale plurimédia, indissociable de l'animation, du cinéma, du jeu vidéo et du marché des produits dérivés, un cocktail explosif que maîtrisent parfaitement les éditeurs de périodiques pour adolescents comme Shueisha avec le magazine Shukan Shonen Jump et sa puissante armée de héros universels emmenés par Naruto.

Reconnu mondialement comme un mode narratif particulier, sinon un art singulier, "le manga fait désormais l'objet de multiples recherches et conférences d'experts japonais et étrangers que relie en réseau le musée de Kyoto", se réjouit M. Ueda.