Label identifié par tous les lecteurs de manga, l’éditeur Kana mêle, dans sa production, les séries à succès à d’autres, plus artistiques et confidentielles. Christel Hoolans, éditrice, détaille l’évolution du genre en France.
Christel Hoolans, quelles sont les grands différences entre les BD occidentales et les mangas?Le manga, c’est une tout autre manière de raconter une histoire, avec des techniques spécifiques et une façon particulière de rythmer une histoire. Le format, en moyenne 200 pages par album, permet de découper la narration très différemment. Les Japonais peuvent se permettre une séquence de combat sur 40 pages. Dans une bande dessinée traditionnelle, celle-ci sera résumée en deux cases – un coup de poing, un personnage à terre et au lecteur de reconstituer ce qui s’est passé. Le lecteur de manga, lui, a moins de travail imaginaire à faire. Mais ces combats de 2 à 40 pages, avec le décor qui s’efface parfois totalement, plonge aussi le lecteur dans l’affrontement de manière bien plus impressionnante. De cette pagination, découlent toute une série de possibilité. Il y a notamment le détail extrême que vous pouvez apporter à la biographie des personnages principaux.
Ces spécificités viennent aussi de la culture japonaise. Comment se fait-il qu’elles plaisent tant aux lecteurs français?En fait, ce qui intéressait d’abord le lecteur, c’est le shonen, le manga destiné aux lecteurs de 8 à 12 ans. Ce qui leur a plu : les 200 pages à se mettre sous la dent par parution, le prix défiant toute concurrence, le rythme de parutions élevé – une nouveauté par série tous les deux mois – et surtout, le sens de lecture auxquels les parents ne comprennent rien. Sans compter que ces mangas se rapportent aux univers qu’ils connaissent bien des dessins animés et de jeux vidéo. Puis certains se sont intéressés à la langue japonaise, ont voulu aller plus loin dans l’exploration…
Le manga n’a-t-il pas profité d’un certain élitisme cultivé par la BD occidentale?Le principe de base est différent. Lorsque vous faites de la bande dessinée en France, vous vous inscrivez dans le 9e art. En manga, généralement, pas du tout. Parce que le manga se décide différemment. Par exemple, un éditeur de revue a besoin d’un shonen sur le volley-ball pour ses lecteurs de 8 à 12 ans, il appelle un dessinateur et lui commande, ensuite la série paraît dans le magazine, et c’est le lectorat qui décide si elle y restera. Le mangaka n’est pas un artiste, ce qui l’intéresse c’est de toucher le plus large public.
Mais n’existe-t-il pas un autre manga, détaché de ces contingences commerciales?Bien sûr, un éditeur n’ira jamais dire à un mangaka confirmé ce qu’il doit dessiner. Il existe effectivement toute une série d’auteurs, que nous publions dans nos séries Made In ou Sensei – où nous publions les œuvres des maîtres décédés ou très âgés, telle la série Kamuiden sur l’ère Edo. Là, nous ne sommes plus dans le divertissement, et plus proches de ce qui se fait en BD franco-belge. Il existe bien des mangas d’auteurs, que les magazines portent aussi. Évidemment, en France, ces publications sont très confidentielles et rarement rentables. Certes, on en parle, cela nous porte, mais on en vend 2000.
Certains de ces mangakas réputés obtiennent pourtant du succès. Tel Tanigushi…Il existe en effet quelques cas particuliers. Tanigushi est bien un auteur à part entière, mais il est une sorte d’exception dans son pays : relativement peu connu chez lui, il vend plus d’albums en France qu’au Japon. Pour le connaître un peu, je sais qu’il a été plongé dans la culture BD occidentale depuis qu’il a commencé à dessiner ; cela se ressent dans ce qu’il crée, et cela le rend bien plus accessibles pour le lecteur français. Un peu comme Urazawa, qui lui est très célèbre dans son pays, et dont l’écriture
Justement, en quoi la bande dessinée japonaise a-t-elle été influencée par l’Occident?Il y a eu, après la Seconde Guerre mondiale, une forte influence de la culture occidentale, due à la présence des Américains sur place. Cette influence ce voyait déjà dans le kamishibai – cet art du conte de rue où l’on glissait des images peintes par des mangakas dans des sortes de télévisions en bois. Cette influence est ancienne, mais aujourd’hui, les dessinateurs l’ont digéré, et redeviennent de plus en plus Japonais.
Le manga se développe-t-il toujours en France? Et est-il plus facile de lancer des mangas que des BD traditionnelles.Le marché est arrivé à maturité en 2010, mais avant cela, nous avons connu 10 ans de croissance à deux chiffres. Mais le manga vit la même situation que la bande dessinée : le marché est tiré par quelques séries bien installé, et il est très difficile – autant que dans la BD Franco-belge – de lancer le tome 1 d’une nouvelle série, réussie ou pas.
Alexis Brocas